vendredi 11 août 2017

Hyper-lieux ?

Le point commun entre la Zone à défendre de Notre-Dame-des-Landes, Times Square et Venise ? Ce sont d'après le géographe Michel Lussault, invité à en expliquer le concept dans l'émission La Suite dans les idées, des "hyper-lieux", c'est-à-dire des lieux incarnant un nouveau "régime de spatialité", marqués par une véritable "hyper-scalarité" et éventuellement propices à la "policité". A écouter en cliquant sur le lien ci-dessous, ne serait-ce que pour se convaincre que la géographie peut abondamment contribuer à la créativité lexicale dans le domaine des sciences humaines : 



jeudi 10 août 2017

L'architecte, portraits et clichés

En tant que lecteur de revues et visiteurs d'expositions d'architecture, on peut parfois être étonné, et souvent séduit, d'avoir à faire à un déploiement de théories extraordinairement sophistiquées, comme s'il était impossible de concevoir ou de comprendre un bâtiment sans maîtriser la french theory sur le bout des doigts. C'est notamment le cas de presque toutes les expositions consacrées par la Cité de l'architecture ou par le Pavillon de l'Arsenal à des œuvres contemporaines.  Mais ce n'est pas du tout l'impression qui se dégage de la grande exposition patrimoniale de l'été de la Cité, consacrée aux représentations de l'architecte à travers l'histoire.


Le parcours de cette exposition est surtout centré sur la France, il est essentiellement chronologique au début puis de plus en plus thématique et fait une large place à la culture populaire pour ce qui concerne l'époque contemporaine notamment. Une seule salle est consacrée à de rapides références aux architectes de l'Antiquité et du Moyen Âge. Ensuite, de la Renaissance à la fin du dix-neuvième siècle, les portraits d'architectes permettent de bien comprendre comment l'architecte se distingue progressivement du maître maçon, comment il se fait, souvent, théoricien en même temps que maître d’œuvre. Le vingtième siècle est traité de manière beaucoup plus anecdotique : dans des salles ornées de citations du philosophe Alain mais aussi de Michel Galabru, on peut par exemple voir une collection des pipes et lunettes de Le Corbusier, avant d'enchaîner sur de petits espaces consacrés à  l'architecte sur les timbres et sur les billets de banque, l'architecte à la une de la presse, en bande dessinée et au cinéma. Jacques Tati est évoqué, mais pas pour sa vision de l'architecture dans Mon Oncle ou Playtime, il l'est uniquement à travers une affiche des Vacances de Monsieur Hulot (1953), parce qu'il se serait, pour le personnage principal de ce film, inspiré de son voisin architecte (voisin dont le cartel de l'affiche nous précise inutilement qu'il était, voisin qui était le grand-père de l'actuel ministre de l'écologie). Quant à l’œuvre la plus citée dans la section cinéma et même dans l'ensemble de l'exposition, il s'agit d'Astérix et Obélix : mission Cléopâtre (2002), comédie d'Alain Chabat de 2002 dans laquelle Jamel Debouzze et Gérard Darmon incarnent Numérobis et Amonbofis, deux architectes au service de Cléopâtre ; une comédie couronnée de succès mais qui accumule, sur les architectes, les clichés les plus éculés. Ce qui était certes le but de l'exposition, même si l'on aurait peut-être préféré un peu plus de portraits et un peu moins de clichés. 

https://www.citedelarchitecture.fr/fr/exposition/larchitecte-portraits-et-cliches

mardi 8 août 2017

La Seine en photos

On peut voir jusqu'au 30 novembre 2017, au domaine de Madame Élisabeth, à Versailles, une exposition de 35 photos de la Seine, prises dans les départements des Hauts-de-Seine et des Yvelines. Cette exposition a été organisée "en étroite collaboration" par les deux départements, dans le but de montrer que la Seine est un atout exceptionnel : lieu d'habitation (les péniches), site de villégiature et de loisirs (notamment les îles non habitables), plateforme logistique (le port de Gennevilliers), la vallée de la Seine est très densément peuplée et aussi chargée d'histoire. La Seine sert par ailleurs de "trait d'union" entre le département des Yvelines et celui des Hauts-de-Seine, constituant entre eux un "capital commun" s'ajoutant à "nos complémentarités" selon un éditorial du président du conseil départemental des Yvelines Pierre Bédier (éditorial accompagnant les photos et lisible en cliquant sur le lien ci-dessous qui renvoie au dossier de presse de la manifestation). On sent bien que si les départements d'Île-de-France n'avaient pas été créés de toute pièce en 1964-1968, en fonction de critères politiques autant que géographiques ou historiques, les concepteurs de l'exposition n'auraient pas hésité à évoquer un lien immémorial entre les Yvelines et les Hauts-de-Seine. En fait, dans le cadre des redécoupages administratifs qui touchent l'ensemble du pays après avoir commencé en Île-de-France avec le projet du Grand Paris (fusion de communes, division par deux du nombre de cantons, intercommunalités obligatoires, diminution du nombre de régions, etc.), les deux départements se sont engagés dans une fusion à marche forcée, certes unis par la Seine mais surtout par une sociologie assez comparable : en 2015, les Hauts-de-Seine et les Yvelines se classaient en deuxième et troisième position (derrière Paris) au palmarès des départements les plus riches (en terme de revenus déclarés par foyer à l'administration fiscale), alors que la Seine-Saint-Denis est classée quatre-vingt-douzième sur 101 départements... Seine-Saint-Denis avec laquelle la Seine pourrait constituer un "trait d'union" tout aussi pertinent pour les Hauts-de-Seine, comme d'ailleurs avec n'importe lequel des sept autres départements d'Île-de-France que la Seine traverse tous plus ou moins.

 

Même si le prétexte est donc loin d'être convaincant, on ne peut que recommander cette exposition, qui fournira l'occasion à ceux qui ne le connaissent pas de visiter le parc du domaine de Madame Élisabeth, "notre beau parc du Domaine" comme l'écrit Pierre Bédier, où Madame Élisabeth, sœur de Louis XVI, "vécut des journées heureuses" avant que la Révolution mette "fin à son bonheur" (cf. le dossier de presse ci-dessous). On pourra aussi en profiter pour lire ou relire à l'ombre des grands arbres du parc le dernier livre d'Aurélien Bellanger, justement intitulé Le Grand Paris, dans lequel l'auteur imagine une fusion-absorption des Hauts-de-Seine par la Seine-Saint-Denis... 

http://www.epi78-92.fr/fileadmin/user_upload/Presse/DP_expo_Seine7892.pdf

http://www.journaldunet.com/economie/impots/classement/departements/revenu-fiscal 

http://histoiredelarchitecture.blogspot.fr/2017/01/le-grand-paris-daurelien-bellanger.html

vendredi 28 juillet 2017

Criticat #19

Le dix-neuvième numéro de la revue Criticat vient de sortir. A l'exception d'un court article sur la ville de Yangon (en Birmanie), ce numéro est entièrement consacré à une critique de l'idée d'innovation qui serait dominante en architecture depuis le mouvement moderne. On commence avec un long et très bon article de Françoise Fromonot sur la récente réhabilitation de l'immense entrepôt Macdonald dans le nord-est de Paris : l'auteur reconstitue l'histoire de ce projet, symptomatique des écueils de la politique urbaine et architecturale de la municipalité de Paris. La juriste Stéphanie Sonnette passe ensuite en revue les éléments de la novlangue technophile et anglicisée des architectes, faite de politiquement correct écologique et d'exaltation de la participation. On peut aussi lire le texte d'une conférence de David Edgerton sur la nécessité de relativiser l'idée d'innovation dans l'histoire des technologies. Valéry Didelon se montre lui aussi sceptique sur l'intérêt des innovations dans le domaine de l'architecture : l'évolution constante des normes aurait surtout pour objectif de stimuler le marché de la rénovation, elle soumettrait les architectes aux grandes entreprises du BTP et briderait, en fait, toute véritable innovation. Comme à son habitude, la revue publie une anthologie de courts textes sur le thème principal du numéro en cours : on constate que, depuis les années 1970, de nombreux critiques et professeurs ont tenté de tenir un juste milieu entre les modernes favorables à l'innovation technologique et les post-modernes refusant l'idée de progrès en architecture. Dans une interview accordée à la revue, Robert Maxwell (né en 1922) explique lui aussi que l'architecture est plus proche d'un art que d'une science qui permettrait des progrès par accumulation de connaissances. Le dessinateur et architecte Etienne Martin porte quant à lui un regard un peu désenchanté sur les "Lods", logements construits par Marcel Lods à Rouen, devenus localement une icône du modernisme mais irrémédiablement condamnés à la destruction compte tenu d'un système constructif incompatible avec les normes modernes de sécurité...

On peut considérer, avec le recul, que les post-modernes n'étaient pas moins naïfs que les modernes, et qu'il est par ailleurs vain de chercher à tenir l'équilibre entre ces deux tendances. Mais on ne peut que saluer la volonté de prendre des distances avec le mantra faisant de l'innovation la valeur essentielle de tout projet architectural : Criticat n'a jamais aussi bien porté son nom !

vendredi 21 juillet 2017

L'architecture japonaise à Paris au Pavillon de l'Arsenal

Le Pavillon de l'Arsenal présente jusqu'au 24 septembre une exposition consacrée à l'architecture japonaise à Paris. Contrairement à ce que pourrait laisser penser l'affiche qui évoque la période "1867-2017", on commence véritablement le parcours avec les élèves japonais de Le Corbusier pendant les années 1930, notamment Junzô Sakakura (1901-1969), auteur du pavillon japonais de l'exposition internationale de Paris de 1937 (architecte auquel la Maison de la culture du Japon a récemment consacré une exposition). Après l'intermède de la guerre, essentiellement marqué du point de vue des relations architecturales franco-japonaises par le séjour au Japon de Charlotte Perriand, les Japonais se font discrets à Paris, revenant timidement, pendant les années 1950, dans le cadre de projets menés à Paris par l'Unesco. C'est pendant les années 1960, et surtout pendant les années 1970 et 1980 qu'on les voit participer en grand nombre aux concours pour les projets tels que le Centre Pompidou, l'Opéra Bastille ou la BNF. Dans un premier temps, ils  repartent le plus souvent bredouilles, mais forts du soutien du grand amateur du Japon qu'était Jacques Chirac, alors maire de Paris, et par ailleurs soutenus par quelques grands mécènes comme François Pinault, les architectes japonais parviennent à s'imposer, travaillant désormais aussi bien pour des commandes institutionnelles, du logement social ou des maîtres d'ouvrage privés. Ils imposent avec audace, dans leurs constructions, un mélange de rigueur, d'attention au contexte et de souci du détail. Présente depuis près d'un siècle à Paris, de plus en plus visible, l'architecture japonaise méritait bien une exposition. Celle-ci est dans l'ensemble conforme à ce que produit habituellement le Pavillon de l'Arsenal (notons cependant qu'il vaut mieux éviter de visiter les lieux quand des groupes d'enfants s'adonnent très bruyamment au sport sur un mur d'escalade qu'on a eu l'idée saugrenue d'installer en plein milieu du Pavillon de l'Arsenal). 



vendredi 7 juillet 2017

Le Baroque des Lumières à Paris

Le Petit Palais présente jusqu'au 16 juillet une exposition intitulée Le Baroque des Lumières. Chefs d’œuvre des  églises parisiennes au dix-huitième siècle. Cette exposition présente de manière complète, et en suivant globalement la chronologie, les principaux tableaux et décors réalisés pour les églises parisiennes. Elle le fait très sagement, sans se demander ce qui fait la spécificité de la peinture religieuse à l'époque, sans vraiment justifier le terme de "baroque" et sans non plus confronter ce baroque aux théories des Lumières. L'analyse des tableaux est très précise, mais, arrivé à la fin de l'exposition, on manque donc un peu d'une synthèse d'ensemble. 



 
 

jeudi 15 juin 2017

Junzô Sakakura à la Maison de la culture du Japon


On peut voir jusqu'au 8 juillet 2017, à la Maison de la culture du Japon, une exposition monographique consacrée à l'architecte Junzô Sakakura, né en 1901 et mort en 1969. Initialement formé à l'histoire de l'art au Japon, J. Sakakura a travaillé pendant près de dix ans en France, tout au long des années 1930, au sein de l'atelier de Le Corbusier dont il a été l'un des premiers élèves japonais. On lui doit notamment le pavillon japonais de l'exposition des arts et des techniques de Paris en 1937, pavillon qui lui a valu d'être primé par un jury présidé par Auguste Perret. De retour au Japon à la veille de la guerre (mais alors que celle-ci avait pratiquement déjà commencé en Orient), Sakakura a organisé dans son pays une grande exposition consacrée à Léonard de Vinci, qui s'est tenue en plein milieu du conflit. Et il a aussi, à la même période, collaboré avec Charlotte Perriand à la conception d'une exposition sur l'essence de l'art japonais. Par la suite, il a beaucoup construit au Japon : des mairies, des centres commerciaux, des gares et des péages d'autoroutes ainsi que des villas et, surtout, deux des plus importants musées du Japon de l'époque. Il a donc profondément marqué de son empreinte l'histoire de l'architecture japonaise, par sa pratique mélangeant principes modernistes, pragmatisme et références à l'histoire de l'architecture et des techniques constructives ancestrales du Japon. L'exposition suit sagement la chronologie de la carrière de Sakakura, en insistant, probablement à juste titre, sur l'humanisme de sa démarche. Mais elle passe quand même très vite sur la longue période de la guerre : on apprend ainsi juste en passant que Sakakura avait apparemment accepté de livrer les plans d'une cité-modèle qui devait être construite dans la Mandchourie occupée par les troupes impériales... 

http://www.mcjp.fr/fr/la-mcjp/actualites/junzo-sakakura--une-architecture-pour-lhomme