Le dix-neuvième numéro de la revue Criticat vient de sortir. A l'exception d'un court article sur la ville de Yangon (en Birmanie), ce numéro est entièrement consacré à une critique de l'idée d'innovation qui serait dominante en architecture depuis le mouvement moderne. On commence avec un long et très bon article de Françoise Fromonot sur la récente réhabilitation de l'immense entrepôt Macdonald dans le nord-est de Paris : l'auteur reconstitue l'histoire de ce projet, symptomatique des écueils de la politique urbaine et architecturale de la municipalité de Paris. La juriste Stéphanie Sonnette passe ensuite en revue les éléments de la novlangue technophile et anglicisée des architectes, faite de politiquement correct écologique et d'exaltation de la participation. On peut aussi lire le texte d'une conférence de David Edgerton sur la nécessité de relativiser l'idée d'innovation dans l'histoire des technologies. Valéry Didelon se montre lui aussi sceptique sur l'intérêt des innovations dans le domaine de l'architecture : l'évolution constante des normes aurait surtout pour objectif de stimuler le marché de la rénovation, elle soumettrait les architectes aux grandes entreprises du BTP et briderait, en fait, toute véritable innovation. Comme à son habitude, la revue publie une anthologie de courts textes sur le thème principal du numéro en cours : on constate que, depuis les années 1970, de nombreux critiques et professeurs ont tenté de tenir un juste milieu entre les modernes favorables à l'innovation technologique et les post-modernes refusant l'idée de progrès en architecture. Dans une interview accordée à la revue, Robert Maxwell (né en 1922) explique lui aussi que l'architecture est plus proche d'un art que d'une science qui permettrait des progrès par accumulation de connaissances. Le dessinateur et architecte Etienne Martin porte quant à lui un regard un peu désenchanté sur les "Lods", logements construits par Marcel Lods à Rouen, devenus localement une icône du modernisme mais irrémédiablement condamnés à la destruction compte tenu d'un système constructif incompatible avec les normes modernes de sécurité...
On peut considérer, avec le recul, que les post-modernes n'étaient pas moins naïfs que les modernes, et qu'il est par ailleurs vain de chercher à tenir l'équilibre entre ces deux tendances. Mais on ne peut que saluer la volonté de prendre des distances avec le mantra faisant de l'innovation la valeur essentielle de tout projet architectural : Criticat n'a jamais aussi bien porté son nom !